Une série d’études troublantes menées sous la direction du Dr. Omri Bronstein de l'École de zoologie et du Musée d'histoire naturelle Steinhardt de l'Université de Tel-Aviv, par les doctorants Rotem Zirler, Lisa-Maria Schmidt, Gal Eviatar et Lachan Roth ont dévoilé une épidémie mortelle responsable de l’éradication des oursins noirs du Golfe d'Eilat en l'espace de quelques mois, qui menace de faire effondrer le récif corallien. Selon les chercheurs, la cause en est un parasite pathogène qui s'est propagé de la Méditerranée à la Mer Rouge, et avait déjà exterminé les oursins de la Mer des Caraïbes dans les années 80. Sur leurs recommandations, l'Autorité israélienne de la nature et des parcs délibère à présent sur les mesures d'urgence à adopter pour sauvegarder les récifs coralliens d'Israël.
Les recherches ont été publiées dans les revues Frontiers in Marine science et Royal Society Open Science.
Selon l’une des études, par exemple, des milliers d'oursins se trouvant dans un site de la rive nord du Golfe d'Eilat ont péri en quelques semaines, la maladie vidant l’oursin de son contenu, ne laissant subsister que son squelette. Des phénomènes similaires ont été observés à divers autres endroits du Golfe d'Eilat, ainsi que dans d’autres pays de la région, comme la Jordanie, l'Égypte, l'Arabie saoudite, la Grèce et la Turquie.
Une situation d'une gravité sans précédent dans l'histoire du Golfe d'Eilat
Les chercheurs soulignent l'importance vitale des oursins, en particulier de l’oursin-diadème à longues épines (Diadema setosum), espèce qui constitue une clé de voûte essentielle au bon équilibre des récifs coralliens. « Il faut comprendre que la menace qui pèse sur les récifs coralliens a déjà atteint un niveau record; l’apparition de cette nouvelle variable jusque-là inconnue nous amène à une situation d’une gravité sans précédent dans l’histoire du Golfe d’Eilat ».
« Au début, nous pensions qu'il s'agissait d'une sorte de pollution ou d'empoisonnement, ou d'un déversement de produits chimiques locaux, provenant de l'industrie et des hôtels du nord du Golfe d'Eilat ; mais après avoir examiné d'autres sites à Eilat, en Jordanie et dans le Sinaï, nous avons rapidement réalisé qu'il ne s'agissait pas d'un incident local », explique le Dr. Bronstein. « Tous les indices indiquent une propagation rapide de l'épidémie. Des rapports similaires nous sont parvenus de collègues saoudiens. Même les oursins que nous élevons à des fins de recherche dans nos aquariums de l'Institut interuniversitaire, et les oursins de l'observatoire sous-marin d’Eilat ont été contaminés par la maladie et en sont morts, l'agent pathogène étant probablement entré par les systèmes de pompage. Il s’agit d’une mort rapide et violente en deux jours, un oursin en bonne santé se transforme en squelette. Certains cadavres sont rejetés vers le rivage, mais la plupart des oursins sont dévorés alors qu'ils agonisent et sont incapables de se protéger, augmentant les risques de contagion des poissons qui s'en nourrissent ».
Au cours de ces dernières années, le groupe de recherche du Dr. Bronstein s’est consacré à l'étude des invasions marines, en particulier du Diadema setosum. « Jusqu'à récemment, les oursins noirs à longues épines, familiers à beaucoup d'entre nous, étaient l'une des espèces dominantes du récif corallien d'Eilat », explique-t-il. « Les oursins en général, et le Diadema setosum en particulier, sont considérés comme des espèces clés essentielles au bon fonctionnement des récifs coralliens. Les oursins sont les « jardiniers » du récif, ils se nourrissent d'algues et les empêchent d'étouffer les coraux qui leur font concurrence pour profiter de la lumière du soleil. Malheureusement, ces oursins autrefois florissants ont disparu du Golfe d'Eilat, et de parties de plus en plus grandes du sud de la Mer Rouge ».
Mortalité de masse
Le Dr. Bronstein a été alerté il y a plusieurs mois des premiers cas de mortalité de masse par des collègues de Grèce et de Turquie, où les oursins avaient pénétré, probablement par le canal de Suez. « Le premier oursin de cette espèce dans le sud de la Turquie a été obervé en 2006 », ajoute le Dr. Bronstein. « Ce phénomène, connu sous le nom d'invasion biologique, a des implications écologiques de grande envergure, et affecte de manière permanente la Méditerranée orientale, en particulier le long du littoral israélien. Depuis, nous suivons la dynamique de l'invasion de cette espèce en Méditerranée ».
Les chercheurs ont découvert le premier oursin de cette espèce le long de la côte méditerranéenne d'Israël, un oursin solitaire aperçu sur la plage Gordon à Tel Aviv. Pendant plus d'une décennie depuis la première découverte en Turquie, les populations méditerranéennes de ces oursins sont restées restreintes et généralement cachées. Cependant, depuis 2018, la population d'oursins en Méditerranée a connu une croissance exponentielle, atteignant un état d'explosion démographique. Des populations géantes de milliers, voire de dizaines de milliers de ces oursins ont été observées en Grèce et en Turquie.
Comme en mer des Caraïbes
« Or, au cours de nos recherches sur cette invasion des oursins en Méditerranée, nous avons commencé à recevoir des rapports sur une mortalité soudaine et importante », explique le Dr. Bronstein. « A priori, l'extinction d'une espèce envahissante n'est pas une mauvaise chose, mais nous devons être conscients de deux risques majeurs : premièrement, nous ne savions pas encore comment cette mortalité et ses causes pourraient impacter les espèces locales en Méditerranée. Deuxièmement et surtout, la proximité géographique avec la Méditerranée orientale permet une transmission rapide de l'agent pathogène dans la Mer Rouge. Et malheureusement, c’est effectivement ce qui s’est produit ».
La mort massive des oursins a rappelé aux chercheurs de l’Université de Tel-Aviv l'un des événements les plus dévastateurs qu’a connue l'écologie marine : la disparition des oursins de la Mer des Caraïbes. Jusqu'en 1983, le récif corallien des Caraïbes constituait un écosystème tropical prospère, un peu comme celui du Golfe d'Eilat. Mais alors une maladie mystérieuse a exterminé la majorité des oursins du type Diadema antillarum, espèce parente des oursins d’Eilat. A mesure que les oursins disparaissaient, les algues se sont mises à croitre de manière incontrôlable, empêchant la lumière du soleil d'atteindre les coraux, et transformant à jamais le récif corallien en une mer d'algues.
Créer une population de sauvegarde
« L'an dernier, les Caraïbes ont connu une autre épidémie de cette maladie, entraînant la disparition des populations d'oursins restantes », raconte le Dr. Bronstein. « Cependant, contrairement aux évènements précédents, nous possédons désormais des ressources scientifiques et technologiques avancées pour analyser les preuves biologiques. Ainsi, un groupe de chercheurs de l'Université Cornell a-t-il pu identifier le mois dernier la cause de la mortalité dans les Caraïbes : un parasite cilié pathogène. La pathologie identique observée chez les oursins mourants de Grèce, de Turquie et de la mer Rouge corrobore cette découverte. »
Les recherches pionnières du Dr. Bronstein ont non seulement identifié la mortalité massive sans précédent d'une espèce envahissante en Méditerranée, mais ont également mis en lumière le déclin alarmant de l'espèce d'oursin, Diadema setosum, l’une des espèces d’oursins les plus répandues dans le monde. Dans son étude révolutionnaire, il a averti que l'épidémie qui sévit en Méditerranée pourrait s'étendre jusqu'à la mer Rouge voisine, prévision qui s’est avérée exacte. « La gravité de la situation ne peut être sous-estimée », avait-il écrit. « La mortalité des oursins de la mer Rouge avance à une vitesse vertigineuse, et les régions atteintes dépassent largement l'étendue observée en Méditerranée. Une incertitude inquiétante se profile en arrière-plan : quelle est la cause exacte de la mortalité massive des oursins ? S’agit-il de l’agent pathogène qui a sévit aux Caraïbes ou un facteur nouveau et inconnu ? Quoi qu'il en soit, il est évident que cet agent pathogène se propage dans l'eau, et nous prévoyons une escalade rapide de la mortalité de l'ensemble de la population de ces oursins à la fois en Méditerranée et en mer Rouge ».
« Je pense qu’il est impératif que nous établissions dès aujourd’hui une population de sauvegarde de ces oursins, garantissant le potentiel de leur réintroduction dans la nature en cas de besoin. Comme dans le cas du covid-19, la trajectoire de cette épidémie reste incertaine. Va-t-elle finir par s'affaiblir d'elle-même, ou persister pendant des années, transformant radicalement les récifs coralliens ? Cependant, contrairement à la pandémie du covid-19, il n'existe pas de vaccins ou de traitements possibles pour les oursins touchés. Par conséquent, nos efforts doivent être résolument orientés vers la prévention. La fenêtre d'opportunité pour préserver une population saine prospère de cette espèce à Eilat s'est malheureusement refermée. Pour établir une population de sauvegarde, nous devons agir dès aujourd’hui, en préservant des spécimens sains de la Méditerranée israélienne avant que la maladie n'atteigne également cette région. C’est une entreprise complexe, mais elle est impérative si nous voulons assurer la survivance de cette espèce spécifique, qui joue un rôle essentiel pour l’avenir des récifs coralliens », conclut le Dr. Bronstein.
Photos:
1. Squelette d'oursin dévoré par un poisson
2. Le Dr. Omri Bronstein
3. 4. 5. Oursin agonisant
6. L'équipe de recherche
(Crédit: Université de Tel-Aviv)
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