D’après une étude approfondie menée sur 8 000 oiseaux par le doctorant Shahar Dubiner de l'Ecole de zoologie et du Musée d'histoire naturelle Steinhardt de l'Université de Tel-Aviv, sous la direction du Prof. Shai Meiri, plus de la moitié des espèces se sont adaptées au changement climatique au cours des 70 dernières années en devenant soit plus longues soit plus minces, afin de faciliter la perte de chaleur. Les chercheurs craignent cependant que cette flexibilité adaptative des oiseaux ne soit pas suffisante à mesure que les températures continueront d’augmenter.
Les résultats de l’étude ont été publiés dans la revue scientifique Global Ecology and Biogeography.
Le Prof. Meiri explique que selon la règle de Bergmann, formulée au 19ème siècle, les membres des mammifères et des oiseaux vivant dans un climat froid ont tendance à être plus grands que ceux des mêmes espèces vivant dans un climat plus chaud. En effet, le rapport surface / volume est plus élevé chez les petits animaux, ce qui permet une plus grande perte de chaleur (avantage dans les régions chaudes), et plus faible chez les plus grands, minimisant la perte de chaleur (avantage dans les climats plus froids). Sur la base de cette règle, les scientifiques ont récemment émis l’hypothèse que le réchauffement climatique conduirait à une réduction de la taille des animaux, avec une exception possible : les oiseaux vivant dans l'environnement humain (tels que les pigeons, les moineaux domestiques et les corneilles mantelées ou corbeaux-pigeons) pourraient gagner en taille en raison de l'augmentation de la disponibilité alimentaire, phénomène déjà observé chez les mammifères comme les chacals et les loups.
Plus légers ou plus longs
S'appuyant sur la vaste collection d'oiseaux conservée au Musée d'histoire naturelle Steinhardt de l’Université de Tel-Aviv, les chercheurs ont scruté les changements de morphologie d’environ 8 000 spécimens d’oiseaux adultes appartenant à 106 espèces différentes au cours des 70 dernières années en Israël, y compris les oiseaux migrateurs qui traversent le pays chaque année (comme le pouillot commun, la cigogne blanche et le milan noir), les oiseaux sauvages courants dans la région (comme le geai eurasien, le hibou grand-duc et la perdrix), et ceux qui vivent à proximité des humains (commensaux). Ils ont ensuite construit un modèle statistique complexe composé de nombreux paramètres pour évaluer les changements morphologiques de la masse corporelle, la longueur du corps et la longueur des ailes des oiseaux au cours de la période concernée.
« Nos résultats ont révélé une image compliquée », commente Shahar Dubiner. « Globalement, nous avons constaté des changements clairs dans la morphologie de la plupart des espèces observées. Ces changements étaient de deux sortes : certaines espèces étaient devenues plus « minces », c’est-à-dire que leur masse avait diminué, la longueur de leur corps restant inchangée ; tandis que d'autres étaient devenues plus longues, leur masse restant identique. Il n'y a pratiquement pas de chevauchement entre les deux groupes, c’est-à-dire que presque aucune espèce n'est devenue à la fois plus légère et plus longue. Nous pensons qu'il s'agit de deux stratégies différentes pour faire face au même problème, à savoir la hausse des températures. Dans les deux cas, le rapport surface/volume du corps de l’oiseau augmente (soit par augmentation du numérateur, soit par réduction du dénominateur), ce qui l’aide à perdre de la chaleur. Une telle augmentation a été constatée dans 52% des cas. Le phénomène inverse n’a été observé dans aucune des espèces ».
Un phénomène mondial
Ces résultats ont été observés dans tout le pays, indépendamment de l’alimentation des oiseaux, et chez tous les types d'espèces : oiseaux sauvages locaux, espèces vivant dans l'environnement humain (lesquels, contrairement aux prévisions, ont présenté des changements similaires à ceux des autres oiseaux), oiseaux migrateurs ou non. Une différence a cependant été identifiée entre les deux stratégies : le changement de longueur corporelle avait tendance à se produire davantage chez les oiseaux migrateurs, tandis que ceux de la masse corporelle étaient plus typiques des oiseaux non migrateurs.
« Le fait même que de tels changements aient été constatés chez des oiseaux migrateurs en provenance d'Asie, d'Europe et d'Afrique, suggère que nous assistons à un phénomène mondial », commente Shahar. L'étude a également révélé que l'impact du changement climatique au fil du temps sur la morphologie des oiseaux est 10 fois plus important que celui des différences de température entre les zones géographiques.
« Nos résultats indiquent que le réchauffement climatique provoque des changements rapides et significatifs de la morphologie des oiseaux », conclut Shahar Dubiner. « Mais quelles sont les implications de ces changements ? Faut-il s'inquiéter ? Est-ce un problème, ou plutôt une capacité encourageante à s'adapter à un environnement changeant ? De tels changements morphologiques intervenant sur quelques décennies seulement ne représentent probablement pas une adaptation évolutive, mais plutôt une certaine flexibilité phénotypique manifestée par les oiseaux. Nous craignons que sur une si courte période, il y ait une limite à la flexibilité ou au potentiel évolutif de ces traits. A mesure que les températures continueront d'augmenter, la capacité des oiseaux à s’adapter diminuera ».
Photos:
1. De gauche à droite: Shahar Dubiner et le Prof. Shai Meiri
2. 3. : Spécimens historiques d'oiseaux du Musée Steinhardt d'histoire naturelle
(Crédit: Université de Tel-Aviv)