Des chercheurs du laboratoire du Prof. Neta Erez de l'École de médecine de l’Université de Tel-Aviv ont décrypté le mécanisme par lequel la chimiothérapie créé un environnement inflammatoire propice au développement des métastases, et ont constaté qu’en ajoutant un médicament anti-inflammatoire au traitement, on pouvait réduire le risque de récidive cancéreuse de 52 % à 6 %. La méthode, développée sur des souris, pourrait améliorer le traitement chimiothérapie des patientes atteintes du cancer du sein, et diminuer de 88% l’incidence des rechutes.
L’étude, à laquelle ont participé le Dr. Nour Ershaid, Lea Monteran, Yael Zait et Yeela Scharff, du laboratoire du Dr. Neta Erez, ainsi que le Prof. Iris Barshak du Centre médical Sheba et le Dr. Amir Sonnenblick du Centre médical Ichilov de Tel-Aviv, a été publiée dans la prestigieuse revue Nature Communications.
Elle a été financée par la Communauté européenne (ERC), l’Association israélienne pour la lutte contre le cancer et la Fondation Emerson pour la recherche sur le cancer.
Les effets inverses de la chimiothérapie
« Dans de nombreux cas de cancer du sein, la tumeur est retirée au cours d’une opération chirurgicale, puis la patiente reçoit une série de traitements de chimiothérapie, dans le but d'éliminer les restes de cellules cancéreuses que le chirurgien n'a pas pu enlever, ou qui se sont déjà propagées », explique le Prof. Erez. « La chimiothérapie tue les cellules cancéreuses, mais elle a aussi souvent des effets secondaires indésirables. L'un des plus graves est l’engendrement de dommages aux tissus sains et une inflammation qui, paradoxalement, peut aider les cellules cancéreuses restantes à développer des métastases dans d'autres organes du corps. Nous avons voulu examiner la manière dont ce phénomène mortel se produit, et essayer de lui trouver une solution ».
Pour les besoins de l'étude, les chercheurs ont utilisé un modèle de souris atteintes d'un cancer du sein, qui ont suivi un parcours similaire à celui des malades : ablation chirurgicale de la tumeur primaire, puis chimiothérapie ; enfin un suivi pour détecter au plus tôt une éventuelle récidive métastatique de la maladie. Les résultats se sont avérés alarmants : chez un grand nombre de souris ayant suivi le traitement, des métastases se sont développées dans les poumons, au même rythme que chez celles qui n’ont pas été traitées.
Dans une deuxième étape, les chercheurs se sont attachés au processus de développement de ces métastases. À cette fin, ils ont examiné l'état des poumons des animaux du modèle à un stade intermédiaire, celui où les micro-métastases peuvent se former, mais où il est encore impossible de les détecter même avec les méthodes d'imagerie les plus avancées comme le scanner (tomodensitométrie ou CT). « Chez l'être humain, cette période entre le traitement chimiothérapique et l'apparition de métastases détectables est une sorte de 'boîte noire' », poursuit le Dr. Erez. « Sur le modèle animal, nous avons pu vérifier ce qui se passe effectivement à ce stade, et avons découvert un mécanisme important inconnu jusqu’à présent : le traitement chimiothérapique éveille une réaction inflammatoire dans les fibroblastes (cellules du tissu conjonctif) des poumons, et ces cellules font appel aux cellules immunitaires de la moelle osseuse, créant un environnement inflammatoire dans la zone qui favorise en fait le développement des micro-métastases, rapidement transformées en véritables métastases cancéreuses. Conclusion : la chimiothérapie, qui était conçue pour lutter contre le cancer, a en fait provoqué le résultat inverse ».
L'ajout d'un médicament anti-inflammatoire à la chimiothérapie
Les chercheurs ont pu identifier le mécanisme par lequel les fibroblastes recrutaient les cellules du système immunitaire puis les « éduquaient » pour aider la tumeur. « Nous avons découvert qu'en réaction à la chimiothérapie, les fibroblastes sécrètent des protéines appelées « protéines du complément », qui régulent et augmentent les inflammations, entre autres en recrutant des globules blancs du système immunitaire vers les régions infectées ou endommagées sur le plan tissulaire (processus de chimiotaxie). Lorsque les cellules du système immunitaire atteignent les poumons, elles créent un environnement inflammatoire favorable aux cellules cancéreuses, qui les aide à se développer ».
Pour résoudre ce problème, les chercheurs ont décidé de combiner la chimiothérapie avec un médicament qui inhibe l'activité des protéines du complément, dans le but de prévenir l'effet indésirable du traitement. Les résultats ont été extrêmement encourageants : la proportion de souris du modèle qui n'ont pas du tout développé de métastases après le traitement est passée de 32 % à 67 %, alors que la proportion de celles qui ont développé un grand nombre de métastases est passée de 52 % avec une chimiothérapie standard à 6 % avec la chimiothérapie complétée par le médicament inhibiteur d'inflammation.
« Dans cette étude, nous avons pu découvrir le mécanisme derrière un grave problème posé par le traitement des patientes atteintes d'un cancer du sein, qui réside dans le fait qu’une proportion importante d'entre elles développent des métastases même après l'ablation de la tumeur primitive et la chimiothérapie. Nous avons identifié un mécanisme inflammatoire par lequel la chimiothérapie aide au contraire au développement des métastases, et avons même trouvé une solution : l’ajout d’un facteur anti-inflammatoire à la chimiothérapie », résume le Prof. Erez. « Nous espérons qu'à l'avenir, nos découvertes parviendront au stade clinique et permettront aux médecins de fournir un traitement plus efficace pour le cancer du sein, et peut-être même pour d'autres types de cancer, qui empêchera la récidive de la maladie et sauvera la vie de nombreux patients partout dans le monde ».
Photos :
- De droite à gauche : Léa Monteran, le Prof. Neta Erez et le Dr. Nour Ershaid (Crédit : Université de Tel-Aviv)
- Photo au microscope d’une métastase de cancer du sein dans les poumons, entourée par une protéine du complément secrétée (en bleu : les noyaux cellulaires, en rouge : la protéine du complément, en vert : les vaisseaux sanguins) – Crédit : Léa Monteran.