Le dérèglement du mécanisme de reproduction des coraux les met en danger d'extinction, d'après les chercheurs de l'Université de Tel-Aviv

D'après une étude réalisée sous la direction du Prof. Yossi Loya et du doctorant Tom Shlesinger de l'École de zoologie de l'Université de Tel-Aviv, les récifs coralliens du Golfe d'Eilat connaissent des perturbations dans leur mécanisme de reproduction qui mettent en danger leur existence même. Selon les chercheurs, ces troubles, qui peuvent avoir été causés par des dérèglements environnementaux, tels que les changements climatiques et / ou la pollution de l'eau, risquent de constituer une menace importante mettant en péril de nombreuses populations de coraux dans le monde.

L'article a été publié le 6 septembre 2019 dans la prestigieuse revue Science, qui lui a consacré sa couverture.

Corail2"La saison de reproduction des coraux a toujours constitué un pôle d'attraction pour les chercheurs et les amateurs de nature maritime du monde entier, et a même été qualifiée de 'plus grande orgie du monde'", explique Tom Shlesinger. "Il s'agit d'un événement court, d'une durée de quelques minutes, qui ne se produit qu'une fois par an, au cours duquel des milliers de coraux répartis sur des centaines de kilomètres de récifs libèrent simultanément d'énormes quantités d'ovocytes et de spermatozoïdes qui se fécondent mutuellement. Le timing parfait de cet événement repose sur une synchronisation très précise entre plusieurs facteurs environnementaux tels que la température de la mer, l'intensité du rayonnement solaire, le vent, l'apparition de la lune et l'heure du coucher du soleil, ainsi que les changements saisonniers qui s'y appliquent. Nous avons voulu voir si les changements rapides qui se produisent actuellement dans l'environnement marin affectent le succès de cette reproduction, dont dépend l'avenir de l'espèce, comme pour tout autre être vivant".

Des perturbations de tous les paramètres

La première partie de la recherche a comporté des études sous-marines nocturnes sur le terrain pendant la principale saison de reproduction des coraux: de deux heure et demies à 5 heures et demies par nuit de juin à septembre, et ce pendant quatre ans, de 2015 à 2018, soit un total de 225 nuits. Ainsi, les chercheurs ont-ils pu suivre les événements de reproduction de chaque espèce, décomptant chaque nuit combien y ont participé, c'est-à-dire émis des spermatozoïdes ou des ovocytes dans l'eau. "Nous avons constaté que chez plusieurs espèces, la synchronisation de la reproduction avait été complètement perturbée", témoigne Shlesinger. "Il y a plusieurs décennies, on a pu enregistrer dans le golfe d'Eilat des événements de reproduction courts et ciblés, qui se produisaient certains soirs de l'année, de manière régulière. Aujourd'hui, ces événements s'étalent sur de longues périodes, allant parfois jusqu'à deux mois. Autrement dit, presque toutes les nuits, un petit nombre de coraux libère des ovules ou des spermatozoïdes, certaines colonies propulsant tous leurs ovocytes, certaines une partie seulement, et d’autres ne participant pas du tout au processus de reproduction". Pour approfondir l'analyse du phénomène, les chercheurs ont alors décidé de l'examiner en laboratoire.

Corail4CoverPour ce faire, ils ont prélevé des échantillons de coraux dans divers sites du Golfe d’Eilat à différents moments de la saison de reproduction, au cours des quatre années de l’étude. Ces échantillons ont ensuite été examinés selon quatre critères: la taille des ovocytes, indiquant leur maturité, le nombre d'œufs dans chaque polype (le polype étant l'unité de base la plus petite des colonies coralliennes), le pourcentage de polypes reproducteurs dans chaque colonie et le taux de colonies reproductrices dans l'ensemble de la population. "Nous avons constaté des perturbations dans la synchronisation pour tous les paramètres et à tous les niveaux: celui du polype, de la colonie et celui de l'ensemble de la population corallienne", commente le Prof. Loya. "Nous ne savons pas encore exactement ce qui cause ces perturbations, mais il est probable qu'il s'agisse des changements climatiques, tels que le réchauffement (les eaux de la baie d'Eilat se réchauffent à environ 0,31 degrés Celsius par décennie) ou diverses infections créées par l'homme".

Un appel aux chercheurs du monde entier

Pour examiner l'effet des perturbations du timing sur le succès de la reproduction, les chercheurs ont effectué un suivi sur des parcelles spécifiques du récif. En 2015, ils ont cartographié les milliers de coraux de ces parcelles, puis au cours des années suivantes, ils ont réalisé des sondages et des photographies à haute résolution afin de suivre les changements chez les différentes espèces, en particulier le rapport entre la mortalité et la naissance de jeunes coraux dans le Golfe d'Eilat. "En apparence, la situation actuelle du récif corallien du Golfe d'Eilat semble bonne et on note la présence de nouveaux coraux chaque année", note Shlesinger. "Toutefois nous avons constaté de grandes disparités entre les différentes espèces. Chez celles qui présentaient une désynchronisation des processus reproductifs, montraient également un manque significatif de nouvelles générations de jeunes coraux. En fait, il semble qu'une partie des espèces ne parviennent pas à établir de nouvelles générations depuis déjà plusieurs années, mettant en péril l'avenir de tout le groupe".

"Notre étude constitue un appel aux chercheurs du monde entier à poursuivre leurs recherches sur le phénomène que nous avons mis au jour dans le Golfe d'Eilat et à en déterminer les causes", conclut le Prof. Loya. "Il est de notre responsabilité d'identifier les populations coralliennes en apparence prospères et en bonne santé, mais qui sont en fait sur le point de s'effondrer en raison de l'absence du renouvellement des générations. Nous devons prendre toutes les mesures possibles pour éviter la poursuite de cette grave dégradation des récifs coralliens, qui constituent un habitat vital pour de nombreuses autres espèces et sont à l'origine de la biodiversité en milieu marin".

 

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Photos: Tom Shlesinger.