Une étude internationale, menée sous la direction du Prof. Eilon Shani et du Dr. Yuqin Zhang de l'École des sciences végétales et de la sécurité alimentaire de l’Université de Tel-Aviv, a révélé un mécanisme clé existant chez les plantes, qui les aide à faire face à la sécheresse et aux pénuries d'eau. Il s'agit de deux protéines qui contrôlent une hormone végétale, provoquant la fermeture des minuscules orifices des feuilles pour éviter la perte d'eau, et la croissance d'un réseau ramifié de racines latérales pour absorber l'eau du sol. Selon les chercheurs, une meilleure compréhension de tels processus, par lesquels les plantes s’adaptent à l'évolution de l'environnement, peut contribuer de manière significative au progrès de l'agriculture à l'ère du changement climatique, et à l’amélioration de la sécurité alimentaire dans le monde.
Les résultats de l'étude, qui s’est déroulée sur six 6 ans et a impliqué des chercheurs de l'Université de Tel-Aviv, de l'Institut Weizmann, mais également de Suisse, d'Allemagne, des États-Unis et du Danemark, ont été publiés dans la revue Science Advances.
Fermeture des stomates
« Comprendre la réponse des plantes aux modifications de leur environnement est particulièrement important à une époque de changement climatique rapide, et a une grande importance pour le développement des cultures qui permettent à l'humanité de se nourrir. On sait depuis longtemps que pour faire face à la pénurie d'eau, la plante ferme les petits orifices présents sur la surface inférieure de ses feuilles, appelés les stomates, qui permettent ses échanges avec l'extérieur. Lorsque les stomates sont ouverts, les échanges gazeux entre la plante et l’air ambiant gaz augmentent, le processus de photosynthèse est accéléré et la plante produit de l'énergie, grandit et donne des fruits. Mais lorsqu’elle cherche à préserver le peu d'eau dont elle dispose, elle referme ses stomates et restreint sa transpiration, processus d’évaporation par les feuilles. Il s'agit d'un mécanisme particulièrement fragile, grâce auquel la plante maintient son équilibre à tout moment, ouvrant ou fermant ses orifices en un laps de temps allant de quelques secondes à plusieurs minutes en réponse au moindre changement de la quantité d’eau disponible, de la température ou de la lumière ».
Depuis les années 1960, on sait que l'une des principales substances du mécanisme de contrôle des stomates est une horrmone végétale appelée ABA, petite molécule de signalisation cellulaire qui indique aux stomates qu'elles doivent se fermer. En présence d'un niveau élevé d'ABA les stomates se ferment, et s’ouvrent en son absence. Mais jusqu’à présent, on pensait que l'ABA se formait dans les racines de la plante en réponse à la sécheresse du sol, puis remontait de la tige aux feuilles pour fermer les stomates. Dans la présente étude, les chercheurs ont examiné cette hypothèse, et constaté que la réalité est beaucoup plus complexe.
Un stock de molécules de signalisation dans les feuilles
« Au cours de l'étude, qui a duré six ans, nous nous sommes servis de la plante Arabidopsis (ou arabette des dames), fréquemment utilisée comme modèle pour les recherches en biologie », explique le Prof. Shani. « Nous avons employé un large éventail de techniques avancées dans le domaine de la génétique moléculaire : création de mutations par édition génétique, activation et silençage de gènes, caractérisation physiologique au moyen d’équipements avancés et même tests de délivrance de l’ABA dans des ovules de grenouilles. Nous nous sommes également aidés de microscopes sophistiqués, combinés avec l’emploi de différentes méthodes chimiques et génétiques pour le marquage fluorescent, afin de localiser l'emplacement exact de la molécule ABA dans la plante et les protéines impliquées ».
Les résultats ont été surprenants : les chercheurs ont découvert que la molécule de signalisation ABA est stockée à l’état « dormant » dans les feuilles elles-mêmes, dans des cellules du mésophylle (partie interne de la feuille), qui jouent un rôle clé dans le processus de photosynthèse. Ce stockage est effectué par deux protéines membranaires jusque-là inconnues, ABCG17 et ABCG18, responsables du transfert de l'ABA à l'extérieur de la cellule, à travers la membrane cellulaire, vers les cellules du mésophylle, où elle passe à l'état inactif en se liant à une molécule de sucre spécifique, et s'accumule avec le temps.
Une réaction rapide aux conditions environnementales changeantes
Pour tester le rôle de ces deux nouvelles protéines, les chercheurs ont créé différentes mutations dans les gènes qui les produisent, et effectué diverses expériences pour affecter leur activité dans le temps et dans l'espace. Ils ont découvert que les changements dans la production et dans l'activité de ces protéines, provoquent des fluctuations dans le transfert et le stockage des molécules d'ABA dans la plante, et qu'en leur absence, l'ABA est "libéré", atteint des concentrations élevées dans les stomates, et favorise leur fermeture. Selon les chercheurs, ce mécanisme permet aux plantes de réagir rapidement aux conditions environnementales changeantes. Plus précisément, lorsque la plante ressent de la sécheresse, la quantité et l'activité des deux protéines diminuent, l'ABA «se réveille de son coma » et les stomates se ferment rapidement.
Les chercheurs ont également découvert que l'hormone ABA se déplace dans la plante de manière opposée à ce qu'on pensait jusqu'à présent : elle se déplace des feuilles vers les racines, et non l'inverse, en utilisant un système de vaisseaux conducteurs, équivalent à notre système sanguin. Ce mouvement également est régulé par les mêmes protéines transporteuses ABCG17 et ABCG18 : une diminution de l'activité des deux protéines dans la plante entraîne une baisse de l'accumulation d'ABA à l'état « dormant » dans les cellules du mésophylle, et l'ABA « libre » se déplace vers la racine, provoquant le développement de racines latérales, qui absorbent davantage d'eau du sol.
« Cette étude franchit une nouvelle étape dans la compréhension des mécanismes par lesquels la plante fait face aux aléas du climat tels que les pénuries d'eau », conclut le Prof. Shani. « Pour la première fois, nous avons découvert un mécanisme de contrôle par lequel la plante « entrepose » les molécules de signalisation cellulaire, et les libère dans les conditions voulues. Cette découverte est susceptible de contribuer grandement à l'agriculture à l'ère des changements climatiques rapides, améliorant ainsi la sécurité alimentaire mondiale. Nous examinons à présent des mécanismes similaires dans deux plantes agricoles importantes : la tomate et le riz ».
Photos:
1. Le groupe de recherche du Prof. Eilon Shani.
2. Les plantes surexprimant les protéines ABCG17 ou ABCG18 présentent une température foliaire plus élevée (la couleur rouge indique une température élevée et la fermeture des stomates).
3. La surexpression des protéines ABCG17 et ABCG18 entraîne des réponses plus fortes de l'hormone ABA et une fermeture des stomates (la couleur vert fluorescent indique la réaction de l'ABA)
4. Modèle proposé illustrant la fonction des protéines ABCG17 et ABCG18 dans la régulation de l'ABA et des conditions de stress environnemental.