Selon une étude réalisée par le Prof. David Eilam du Département de zoologie de l’Université de Tel-Aviv, en coopération avec les Dr. Michal Fux, Joel Mort et Tom Lawson de l'Université Queens de Belfast, les actes idiosyncrasiques (propres à chaque individu) sont essentiels à la survie des modèles comportementaux traditionnels d’une culture, au même titre que la variabilité génétique en biologie. Accompagnant les actes culturels communs fixes reproduits et retransmis par l’imitation (mèmes) à la base des traditions, les gestes individualisés assurent la survie même d'un rituel ou d’une pratique en offrant simplicité, flexibilité, et liberté créative.
L’étude doit paraitre dans la revue Neurosciences and Biobehavioral Review.
L’étude des mèmes, ou « mémétique» est devenue particulièrement populaire parmi les chercheurs en histoire culturelle, particulièrement dans le domaine des nouveaux médias, en raison de la fréquence des éléments repris et déclinés en masse sur Internet, comme les vidéos virales. Initialement proposé par le biologiste évolutionniste Richard Dawkins le terme "mème", provient d'une association entre gène et mimesis (du grec « imitation »). Pour Dawkins, les mèmes sont des réplicateurs qui transférent les comportements et l'information culturelle comme les gènes le font pour les propriétés biologiques.
Pour réaliser cette étude sur l’importance de l’élément personnel dans la perpétuation de la tradition, le Prof. Eilam et son équipe ont observé et analysé une danse masculine traditionnelle de mariage connue sous le nom de "Umsindo", interprétée par les tribus Zoulou d’Afrique du Sud. Ils ont observé comment 19 participants ont réalisé l’élément central de la danse, le battement « high kick », en le faisant précéder et suivre par des mouvements idiosyncrasiques supplémentaires semblables à la danse free-style. Selon eux, ces mouvements idiosyncrasiques sont indispensables pour faciliter le transfert et la préservation de ce rituel culturel ancestral.
L'identification à la tradition
D’après le Prof. Eylam : « Toute tradition se perpétue grâce à la répétition d’un nombre très limité d'actes communs, ce qui est à la fois surprenant et logique. On ne peut pas enseigner ni transférer des choses très complexes. La danse Umsindo, par exemple, comporte une seule figure commune. Pour le reste, les participants sont libres d'improviser ». Comparant leurs résultats avec la pose des tefillin ou phylactères (petite boîte cubique enfermant des bandes de parchemin sur lesquelles sont inscrits des versets de la Torah, que les hommes juifs pratiquants s’attachent au bras gauche et sur le front pendant la prière du matin) à la synagogue de l’Université de Tel-Aviv, les chercheurs ont observé le même processus. Dans le rituel d'application des tefillin, seuls 11 des 67 actes ont été reconnus comme communs à tous les participants, pouvant donc être considérés comme des "mèmes" en vertu de leur caractère collectif et de leur fréquence de performance élevée. Ici également, la grande majorité des gestes effectués au cours du rituel se sont révélés idiosyncrasiques, présentant un caractère de flexibilité et de liberté créative au sein d'un rituel religieux rigoureux pratiqué à travers les siècles. « Les actes communs des mèmes sont toujours accompagnés d’actes idiosyncrasiques qui établissent l'identité et préservent la flexibilité comportementale » affirme le Prof. Eilam. « En d'autres termes, l’acte idiosyncrasique, ou 'variabilité comportementale' apparaît comme un élément essentiel participant à l'évolution des modèles comportementaux, similaires à la variabilité génétique en biologie ».
Le Prof. Eilam poursuit ses recherches sur les mèmes, explorant l’émergence de ces actions fixes la raison de leur choix pour l'évolution des pratiques culturelles et autres pratiques comportementales.