En marge du festival DLD 2016, le Prof. Dominique Cardon, chercheur au laboratoire Medialab de Sciences Po et l’un des spécialistes français du monde digital a pris part mercredi 28 septembre à une passionnante conférence-débat sur le thème « Révolutions numérique, quels effets sur la démocratie », qui s’est déroulée à l’auditorium Jaglom de l’Université. Participaient également à cette conférence, organisée conjointement par l'Association des Amis français de l'Université de Tel-Aviv et l'Institut français d'Israël, le Dr. Tamar Ashuri, de la Faculté des Sciences sociales de l'Université de Tel-Aviv et Mary Loitsker, animatrice réseau de l'Atelier pour l'information publique.
La conférence, animée par le Prof. Jérôme Bourdon, du Département de Communication de l'Université de Tel-Aviv, a été introduite par Barbara Wolffer, directrice de l’Institut français d'Israël, qui a souligné l’importance d’une réflexion sur les incidences de la révolution numérique sur la société civile et le débat public.
Dominique Cardon est l’auteur de plusieurs ouvrages sur les transformations contemporaines de l’espace public sous l’influence des nouvelles technologies, dont son dernier livre, A quoi rêvent les algorithmes. Selon lui, Internet accompagne un mouvement lié aux transformations de la société : le déplacement du centre de gravité de la démocratie, du pouvoir central vers la société civile : « L’espace démocratique n’est plus seulement celui de la démocratie représentative telle qu’elle est née au dix-huitième siècle, et qui est aujourd’hui en crise dans les sociétés européennes. La confiance dans les institutions s’est affaiblie », dit-il. Aussi est-on peu à peu passé vers une démocratie de participation, dans laquelle le pouvoir central dialogue avec le citoyen, puis vers la « démocratie Internet », en réseau. « La participation ne marche pas quand elle est décidée par le haut. Elle doit se produire par le bas. Les premières communautés en ligne furent le fait d’anciens hippies qui voulaient changer la société sans prendre le pouvoir, en organisant des réseaux pour partager les opinions. C’était une autre manière de faire vivre la démocratie, en dehors des élections » explique-t-il.
Un modèle de démocratie directe
Les communautés Internet ont comme propriété de réunir des collectifs larges dans lesquels les individus ont des idées divergentes et tentent de les mettre en commun (exemple : Wikipédia). Autre caractéristiques : le refus de déléguer sa parole à un porte-parole, ainsi que l’absence de vote, et la prise de décision au consensus : « On est dans un modèle de démocratie directe. Le numérique a donné davantage de pouvoir aux individus pour s’auto-organiser et s’exprimer. Les élus doivent tenir compte de ces nouveaux signaux envoyés de l’espace public et composer avec. Mais le pouvoir doit-il sans cesse être aiguillonné par ces appels au risque de tomber dans le populisme d’un ‘référendum constant’ ? Je n’en suis pas sûr » conclut le sociologue.
Mary Loitsker est animatrice réseau de l’Atelier pour l’information publique, association israélienne à but non lucratif, non gouvernementale et sans affiliation politique, basée sur le volontariat, « qui œuvre en faveur de la transparence et de l'engagement civique » en construisant des sites et logiciels pour faciliter l'ouverture et l'accès au grand public des informations détenues par les organismes gouvernementaux et les institutions publiques. « La démocratie s’émiette devant l’énorme quantité des informations qui ne sont transparentes pour personne » dit-elle. Pour elle, le changement provoqué par Internet est comparable à celui de mai 1968 en France, en raison de l’éveil du public qu’il a provoqué: « La conception du rôle de citoyen en démocratie a changé. Transparence devient le maitre mot. Pour nous en Israël, c’est la continuation digitale du mouvement de protestation qui a commencé dans la rue en 2011. C’est une certaine vision de la démocratie à l’ère digitale ».
De même pour le Dr. Tamar Ashuri, les réseaux sociaux ont une importance capitale pour le développement de la démocratie : « La démocratie représentative se caractérise par une asymétrie d’information entre les représentants et le public » dit-elle. « Il existe une tension structurelle entre l’électeur qui veut avoir accès aux informations et le candidat qui ne veut en livrer que certaines. Le réseau social contribue à l’établissement de la nouvelle démocratie en réduisant cette asymétrie et permet ainsi à l’électeur de faire des choix mieux informés ».
Les présentations ont été suivies d’un riche débat avec la salle, qui a permis au conférencier d’aborder plus précisément les avantages et inconvénients des réseaux sociaux dans leur rapport avec la démocratie.
Photo du milieu: crédit Alexandre Superville.
Photo du bas: crédit Solal Fakiel.