Comment prenons-nous nos décisions ? Pourquoi l'emplacement du bac à légumes dans notre réfrigérateur affecte-t-il notre vie ? Ancien étudiant de la Faculté des sciences sociales de l'Université de Tel-Aviv et spécialiste mondial d'économie comportementale, le Prof. Dan Ariely a expliqué, lors d'une surprenante et captivante conférence présentée le 27 janvier 2019 devant l'Association des anciens étudiants de l'Université de Tel-Aviv, comment un comportement économique utile peut améliorer notre vie.
"Vous voulez que vos interlocuteurs cessent d'échanger des banalités et commencent à discuter de sujets importants et intéressants? Commencez votre réunion par une histoire personnelle embarrassante". Tel fut le premier conseil du Prof. Dan Ariely à son public lors de sa conférence face à l'Organisation des anciens étudiants de l'université de Tel-Aviv.
Spécialiste mondial d'économie comportementale, champ de la science économique qui combine psychologie et théorie des jeux, le Prof. Ariely tente d'expliquer les facteurs qui motivent nos prises de décision. En analysant les mobiles du comportement humain, il parvient à formuler des conseils qui améliorent les performances des entreprises et la qualité du service fourni aux clients, aux travailleurs et à la société en général. Selon son approche, l’économie comportementale peut apporter des réponses satisfaisantes à diverses questions liées au comportement humain. Comment convaincre les populations défavorisées d'économiser de l'argent pour l'avenir de leurs familles? Comment les employés deviennent-ils plus épanouis dans leur travail et fidèles à leur entreprise ? Et bien sûr la grande question : comment devenir plus heureux et le rester durablement.
Minimiser les frictions et nourrir la motivation
L'un des talents exceptionnels d'Ariely réside sa capacité à expliquer et transmettre les conclusions de ses recherches à l'aide de récits et de métaphores éloquents. "Imaginez que vous souhaitiez lancer un missile dans l'espace. Que devrez-vous faire pour que ce lancement réussisse ? vous efforcer de minimiser les frictions avec l'atmosphère et de trouver des sources de carburant. C'est exactement ce qu'il faut faire lorsqu'on veut changer un comportement humain", explique-t-il.
D'après lui, les frictions représentent les obstacles au changement et le carburant est la motivation que nous devons nourrir. "Si nous comprenons ce qui pousse les gens à agir ou au contraire à rester passifs, nous pourrons gérer ce comportement". Il prend l'exemple de l'écart entre notre désir d'adopter un mode de vie sain et la réalité: "Pourquoi les gens ne mangent-ils pas assez de légumes ? Est-ce parce qu'ils ne le veulent pas ? Ou bien tout simplement parce que le bac à légumes du réfrigérateur est physiquement moins accessible que l'étagère où se trouvent les tartes et les pâtisseries ?". Bien plus sérieux est l'exemple qu'il donne de la difficulté d'éduquer d’une population défavorisée du continent africain à épargner le peu de moyens dont elle dispose en faveur de l’avenir de sa jeune génération.
Qu'est-ce qui pousse les gens à agir ? Après tout, nous ne pensons pas vraiment que nous allons passer notre vie d'adulte à la plage avec un verre de cocktail à la main. "Il fut un temps où l'on considérait le travail de manière négative, et où l'on pensait que nous travaillons juste parce qu'il cela nous permet de nous payer des vacances à la plage", explique le Prof. Ariely.
"Aujourd'hui, le monde du travail a changé bien sûr, et je veux croire que la plupart d'entre nous apprécions d'une manière ou d'une autre ce que nous faisons. Evidemment, vous ne pouvez pas prendre du plaisir tout le temps, et je donne généralement l'exemple des gens qui courent un marathon. Le marathon en soit n'est pas une expérience joyeuse. Si vous demandiez à un extra-terrestre d'observer des personnes en train de courir sur une longue distance, il vous dirait certainement qu'elles ont du faire quelque chose de terrible et sont punies pour ça. Mais si nous restons sérieux, le fait de participer à une course répond à d'autres besoins importants, tels que le sentiment d’appartenance, la réussite, le travail d’équipe, etc. La motivation peut provenir de nombreux facteurs qui ne résultent pas d’une joie momentanée, et c’est ce qui nous aide à comprendre le comportement humain".
Aider les individus
Parmi les méandres de ce comportement, le Prof. Ariely choisit ses sujets de recherche en fonction de la capacité d'influence qu'ils pourront lui procurer :"J'observe la manière dont nous nous comportons, je tente de discerner les domaines où nous nous conduisons de manière moins idéale, puis j'essaie de vérifier s'il y a là quelque chose que je peux aider à améliorer. Si c'est le cas, j'en fais un sujet d'étude".
Sa finalité est tout d'abord d'aider les individus: " Au début, mon centre d'intérêt résidait plutôt dans l'objet d'étude lui-même, je pensais que le principal était d'apprendre et que la capacité à aider en découlerait. En prenant de la maturité, j'ai moins la patience d'étudier d'abord et d'agir plus tard, et ma première motivation est avant tout d'aider", a-t-il déclaré. "Et bien sûr, si l'on peut tirer des enseignements de ces expériences c'est formidable, car cela permet d'aider par la suite davantage de personnes".
Selon lui, les étudiants en économie d'aujourd’hui devraient apprendre un peu plus l'humilité : "J'aime l'économie traditionnelle, je pense que c'est une manière de penser élégante et intéressante; mais nous devons nous rappeler qu'elle n'est pas suffisante... J'aimerais que les étudiants en économie apprennent un peu plus l'humilité, réfléchissent davantage sur les méthodes de recherche, n'appréhendent pas tout du seul point de vue économique et sachent au moins qu'il existe d'autres façons de penser sur la vie. Je voudrais que nous admettions que nous ne savons pas exactement ce qui se passe et soyons davantage ouverts aux expériences et aux informations provenant de différents mondes : psychologie, philosophie, sociologie, etc. D'une manière générale, j'espère que nos enfants apprendront à l'université des choses qui les aideront à inventer".
Et après toutes ces années de recherche sur le terrain, ce qui le surprend le plus sur le comportement humain, c'est que : "Bien que nous soyons irrationnels à bien des égards, en bien ou en mal, nous sommes persuadés du contraire".
Professeur de psychologie et d'économie comportementale, le Prof. Dan Ariely enseigne actuellement à l'Université Duke aux Etats-Unis. Son best-seller Predictably Irrational a été traduit en français sous le titre: C'est (vraiment) moi qui décide? (Flammarion, 2008).
Photos: Yael Tzur.