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Les théories du complot : conférence du Prof. Emmanuelle Danblon de l’Université de Bruxelles à l’Université de Tel-Aviv

Dans le cadre du forum ADARR (Analyse du Discours, Argumentation et Rhétorique) de la Faculté des Lettres de l’Université de Tel-Aviv, sous la direction du Prof. Ruth Amossy, le Prof. Emmanuelle Danblon, de l’Université Libre de Bruxelles (ULB), a donné une très intéressante conférence sur un phénomène ancien aujourd’hui décuplé par les réseaux sociaux : les théories du complot, qu’elle a présenté dans une perspective rhétorique. Selon elle, les théories conspirationnistes proviennent en partie de notre besoin d’interpréter les signes, désir qu’il ne faut pas négliger si l’on veut comprendre le succès de ce phénomène. 

EmmanuelleLe Prof. Ruth Amossy, professeur émérite du Département de français de l’Université de Tel-Aviv, qui dirige le groupe de recherche ADARR en collaboration avec le Prof. Roselyne Koren, a introduit la conférencière. Le Prof. Emmanuelle Danblon, linguiste, spécialiste de rhétorique et argumentation, directrice du GRAL (Groupe de recherche en rhétorique et argumentation linguistique de l’ULB) est secrétaire de la Fondation Chaïm Perelman à Bruxelles. Elle est l’auteur de nombreux ouvrages, dont L’Homme rhétorique, La Fonction persuasive, et Les rhétoriques de la conspiration.

Le besoin de donner du sens

Comme elle l’a expliqué, Emmanuelle Danblon a abordé le phénomène des théories du complot « d’un point de vue particulier et restreint », qu’elle a présenté au cours d’une conférence riche, s’appuyant sur de nombreuses sources théoriques. « Une société », dit-elle, « a les prophètes qu’elle mérite. Comment en sommes-nous arrivés là ? ». Pour répondre à cette question volontairement provocatrice, le Prof. Danblon a étudié un corpus composé de divers documents recouvrant la période avant pendant et après le coronavirus. L’exemple présenté lors de la conférence était une vidéo du conspirationniste belge Jean-Jacques Crèvecoeur sortie sur les réseaux sociaux le 22 juillet 2021, lors de l’annonce du passe sanitaire par le Président Macron. Crèvecoeur expliquait que les Illuminati qui dirigent le monde avaient choisi la date et l’heure des débats autour du passe au Parlement français pour y cacher la « marque de la Bête » : mercredi 21/07/2021 à 15h00 et 21h30, la somme de chaque paramètre équivalent au chiffre 6, soit en tout 666, chiffre de l’antéchrist dans le livre de l’Apocalypse.

Emmanuelle 666En effet, pour les complotistes, il y a « des signes qui ne trompent pas ». Mais, explique le Prof. Danblon, pour comprendre le succès de ce phénomène spectaculaire et  qui met mal à l'aise et pouvoir lutter contre, rien ne sert de disqualifier ce type de discours pour son manque évident de rationalité. Il est au contraire nécessaire de renouer avec la fonction d’interprétation des signes oubliée par notre société, et qui témoigne du besoin essentiel de l’homme de donner du sens à ce qu’il observe autour de lui.

« Nous avons cessé de prendre au sérieux une fonction essentielle des sociétés qui est l’interprétation des signes », dit-elle. A l’origine de cette interprétation, dans les sociétés antiques se trouve le processus de divination par l’oracle. « L’oracle ne dit pas plus le destin qu’il ne le cache », explique la conférencière. « Il le laisse voir par le moyen d’une parole énigmatique composée de signes obscurs, cryptés, qui constituent une invitation à déchiffrer et stimulent l’intelligence ».

«Retourner à l'intelligence du regard»

Malheureusement, ces phénomènes n’ont pas débouché sur une réflexion méthodique. Quelles sont les compétences du devin ? D’après la conférencière, il ausculte la situation du consultant et pose un diagnostic, un peu comme un médecin. « Ce sont des compétences rationnelles que nous avons cessé de prendre au sérieux », dit-elle.

Selon les Grecs, certaines catégories de personnes, dont les médecins, les historiens, les pêcheurs et parfois les femmes, opéraient à partir du savoir conjectural (tekmar). Mais toute cette culture est restée implicite parce qu’elle a été supplantée par un modèle de savoir socialement plus élevé et plus prestigieux établi par Platon. « Nous sommes orphelins de ce savoir », dit Emmanuelle Danblon.

Stellla Emmanuelle Aristote mène toute une réflexion sur le tekmerion, l’indice le plus sûr, que l’on tient pour démontré et achevé, irréfutable. Mais pour Aristote, ce que nous tenons pour « irréfutable » est en fait ce qui nous semble « vraisemblable », ce à quoi on « s’attend ». Ce n’est pas parce que quelque chose nous parait évident qu’il est irréfutable. Le vraisemblable n’est pas le vrai, mais ce qui ressemble à l’idée que le public se fait du vrai, ce qui produit un « effet tekmerion ». Pour être persuasive, une idée doit donc apparaitre comme « vraisemblable ».

Comment sortir de cet imbroglio qui laisse la porte ouverte à toutes les manipulations ? Il faut réapprendre à « distinguer entre la fiction et l’illusion », « retourner à l’intelligence du regard », dit le Prof. Danblon.  Les théories du complot proviennent d’un « besoin de mettre le chaos en récit ». Mais « l’intelligence du regard », celle qui permet de « voir le tout », n’est pas donnée à tout le monde. Et nous voyons donc apparaitre tous les faux prophètes. « Dans une théorie du complot, plus les conclusions sont surprenantes, plus il est important que le raisonnement paraisse indiscutable. Selon le « complot de la lune », par exemple, les vaisseaux du programme Apollo n’ont jamais vraiment débarqué sur cet astre, il s’agissait d’une mise en scène. La « preuve », « l’indice qui ne trompe pas », était ici le drapeau américain planté sur le sol lunaire qui flottait au vent alors qu’il n’y a pas d’air sur la lune, tenant lieu de « teckmérion irréfutable ».  

Conclusions de la conférencière : il faut prendre l’énigme au sérieux parce qu’elle incite à la sagacité, et son interprétation découle de notre besoin de donner du sens au réel. Ce n’est qu’en réapprenant à observer les micro-détails du réel que nous parviendrons à faire la distinction entre un imaginatif légitime et une illusion mensongère qui se pose pour une vérité irréfutable.

 

Photos:

1. Le Prof. Emmanuelle Danblon pendant la conférence

2. La vidéo de Jean-Jacques Crèvecoeur sur Youtube (capture d'écran)

3. Le Prof. Ruth Amossy (à gauche) et le Prof. emmanuelle Danblon

(Crédit photo 1. et 3.: Dominique Cywie-Deville) 

 

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