Beau succès pour le colloque sur les combattants juifs de la Seconde guerre mondiale, qui s'est déroulé à l'Université de Tel-Aviv le jeudi 19 mai, dans le cadre des évènements du Conseil des gouverneurs. Organisé par le Centre Goren-Goldstein de recherche sur la Diaspora, les Associations des Amis français et des Amis francophones de l'Université et le groupe de recherche ADARR, en collaboration avec l'Institut français en Israël, il a rendu hommage au million et demi de soldats juifs qui ont combattu contre les nazis dans les armées alliées, aspect de la seconde guerre mondiale jusque-là quasi-inconnu. Mêlant conférences, litérature et témoignages, il a été dédié au sous-lieutenant Hadar Goldin, tombé au combat pendant la guerre de Gaza en aout 2014 à l'âge de 23 ans, dont le père, le Dr. Simha Goldin, directeur du Centre Goren-Goldstein, est lui-même le fils d’un soldat juif ayant servi dans l’armée polonaise.
"Partout et toujours les Juifs ont combattu contre les nazis. Mais cette vérité n'est que partiellement connue" a souligné le Prof. François Heilbronn, président de l'Association des Amis français de l'Université de Tel-Aviv, en ouverture du colloque. Remerciant le Dr. Goldin pour avoir initié ce projet de recherche essentiel, il rappelle que les Juifs de toutes nationalités se sont battus sous l'uniforme de leurs armées respectives sur tous les fronts, entre autre plus de 70 000 dans l'armée française, dont 10 000 prisonniers dans les camps allemands, et 35 000 dans l'armée britannique (sur les 300 000 qui composaient la communauté juive anglaise en 1939). Les Juifs se sont soulevés dans les camps de la mort (à Treblinka, Sobibor etc.) et ont été nombreux dans les mouvements de la Résistance.
Le Prof. Ruth Amossy, coordinatrice du groupe de recherche ADARR a pour sa part remercié la famille Heilbronn dont la générosité a permis de financer une première recherche sur les prisonniers juifs dans l'armée française.
Un projet historique important en Israël
Avant de présenter le projet du Centre, le Dr. Goldin a tout d'abord rappelé que le corps de son fils Hadar, est toujours détenu par le Hamas, de même que celui du sergent-chef Oron Shaul et que les familles font tous les efforts possibles pour les faire rapatrier.
Le projet du Centre Goren-Goldstein a pris forme après un premier colloque international fin 2014, à la suite duquel le Centre a reçu de nombreux fonds d'archives. Son but est de rassembler, préserver et étudier les lettres et autres documents d’origine personnelle retrouvés dans les archives familiales de ceux qui ont participé à la guerre et de leurs descendants, et de les organiser en une base de données accessible aux étudiants et au grand public. Selon le Dr. Goldin, il s'agit d'un projet historique important en Israël, où l'on connait généralement l'histoire de la Shoah et des révoltes des ghettos, mais pas cet aspect de la lutte des soldats juifs au front.
Le Dr. Leonid Smilovitsky a ensuite présenté la collection d'archives des correspondances de la Seconde guerre mondiale du Centre, en particulier celle provenant des soldats de l'Armée rouge. Pendant les 4 années de guerre (1941-1945), entre 490 000 et 520 000 Juifs soviétiques se sont portés volontaires, ou ont été mobilisés dans l’Armée rouge. Pas moins de 200 000 sont tombés en servant sur le front, dans le détachement des partisans, et en captivité. Selon le Dr. Smilovitsky, cette mission d'archivage est urgente, car "sous nos yeux, la dernière génération des témoins et participants à la guerre est en train de disparaître, et plus personne ne sera en mesure de commenter les documents". La collection comprend en tout quelques 5 000 éléments, notamment des centaines de lettres récoltées auprès des familles, représentant une correspondance presque quotidienne entre le front et l’arrière, qui donne une idées des expériences émotionnelles, des sentiments, projets, espoir et de la vie quotidienne des deux côtés, y compris les réactions aux nouvelles venues du front, des récit sur le travail et la vie de tous les jours etc. Une des questions qui émerge est celle de l'auto-identification des Juifs. "Un Juif pendant la guerre éprouvait des sentiments différents de ceux d'un non-Juif. Il devait prouver sans cesse son «utilité» comme patriote et combattant intrépide. Si un Juif faisait preuve de lâcheté, de malhonnêteté, de mauvaise conduite, ou volait, ses défauts étaient immédiatement attribués à tous ses coreligionnaires. Privés de tradition, détachés de la religion, ne connaissant pas le Yiddish (ou y ayant consciemment renoncé), nombreux se considéraient sincèrement comme une partie du peuple soviétique. Cependant leur environnement et l'Etat lui-même continuaient de les considérer comme des Juifs. L'antisémitisme étatique croissant en URSS, soutenu par un antisémitisme intérieur (à l'arrière comme au front), a rendu la population juive soviétique largement vulnérable, sinon sans défense".
"Etre un soldat juif britannique en Palestine n'étati pas agréable"
Selon le Dr. Smilovitsky, malgré la censure (chaque lettre portait le tampon "Vu. Censure militaire n° .... "), ces documents constituent également une source d'information sur la Shoah: "Les lettres contiennent des renseignements sur les crimes nazis, les meurtres de civils et la destruction massive des Juifs, qui apparaissent aussi bien dans celles en provenance du profond arrière-pays soviétique (Oural, Sibérie, Asie centrale, Extrême-Orient), que dans celles des soldats de l'armée combattante qui décrivaient ce qu'ils voyaient. On peut trouver de nombreux détails dans les lettres des anciens prisonniers des ghettos qui ont survécu et ont été mobilisés dans l'Armée rouge, ou l'on rejoint volontairement. Les Juifs soviétiques écrivaient à leurs parents et amis à l'étranger à propos de la tragédie qu'ils vivaient. Les nouvelles tragiques sur le sort des Juifs restés en territoires occupés (qui ne pouvaient pas, ne réussirent pas, ou ne voulurent pas quitter leur terre natale) étaient partagées par leurs voisins non-juifs etc.
La session suivante fut consacrée aux témoignages. Le Prof. Ruth Amossy présente l'ouvrage de Georges Brandstatter, Les Combattants juifs dans les armées de la Libération[1], somme de 50 témoignages classés et commentés de combattants engagés dans la lutte contre les nazis, en présence de l'auteur. Georges Brandstatter a été caché pendant la guerre dans une famille chrétienne dans le village d'Andoins, où il fut enfant de chœur dans la chorale de l'Eglise du village. Vers l’âge de 12 ans, il découvre les récits que se racontent les rescapés de la Shoah, puis décide de recueillir leurs témoignages. On lui doit un premier recueil de témoignages sur la Résistance juive en Europe.
Woolf Marmot, combattant juif dans l'armée britannique durant la Seconde guerre mondiale, parmi les 4% de Juifs encore en vie ayant combattu dans les armées alliées, fit ensuite une intervention colorée et teintée d'humour. Né à Londres de parents originaires d'Ukraine, il fut enrôlé dans le contingent britannique et fit partie de la première vague des soldats qui débarquèrent à Anzio, en Italie en 1943. Blessé, il est opéré à Naples, où il y participe à un grand Seder de Pessah organisé pour les combattants juifs. Il prend ensuite part à la campagne de Sicile et à la prise de Rome en juin 1944, et assiste au premier service religieux officiel dans la synagogue de Rome libérée. Atteint de la diphtérie, il est soigné dans un hôpital militaire à Florence et termine la guerre dans un camp de convalescence. "Bien que Juif, j'ai rarement ressenti l'antisémitisme pendant mon service" dit-il. Son régiment est alors envoyé en Palestine. "Le fait d'être un soldat juif britannique en Palestine n'était pas agréable ". Dans le cadre de la politique des Livres blancs du mandat britannique, qui visait à restreindre l'immigration juive, on lui demande d'empêcher un bateau de rescapés de l'Holocauste d'accoster et il refuse. Son commandant se contente cependant de demander son transfert. Néanmoins, c'est aussi pendant cette période qu'il rencontre sa femme française Hélène, avec qui il finira par aller vivre définitivement en France: "Nous étions de très heureuses victimes de guerre" conclue-t-il.
Les combattants français juifs dans les camps de prisonniers en Allemagne
Le Dr. Galit Hadad du Centre Goldstein-Goren a ensuite présenté l’expérience de captivité des combattants français d’origine juive dans les camps de prisonniers de guerre en Allemagne, à travers l'histoire tragique du Prof. Georges Ascoli, "dont le destin fait ressortir avec acuité, la répercussion de l’Histoire dans l'homme". Né en 1882 à Paris dans une famille juive d’origine italienne assimilée, Ascoli entame des études littéraires à l’ENS et obtient l’agrégation. Mobilisé en 1914, il est blessé trois fois, et décoré de la Légion d’honneur. Après la guerre, il est nommé Président d’une Association d'Anciens combattants et obtient une chaire d’Histoire de la littérature française à la Sorbonne. En 1939, âgé de 53 ans, il endosse à nouveau l’uniforme. Fait prisonnier à la veille de l’armistice, il est interné à Nuremberg. Protégé à l’instar de ses camarades non juifs, par la Convention de Genève, il fonde l’université de captivité dont il est recteur au début, mais, cible de certains prisonniers français, il en est rapidement éjecté. Il forme alors autour de lui un cercle académique rassemblant des anciens normaliens et universitaires. Dénoncé, et suspecté d'être gaulliste, il se retrouve interné dans un baraquement réservée aux juifs.
Libéré en août 1941, à titre d'ancien combattant de la Grande Guerre, il apprend que son deuxième fils est fait prisonnier de guerre, et ne retrouve plus son poste à la Sorbonne puisque son statut de juif lui interdit d’exercer son métier dans l'Éducation Nationale. Invité par le Maire de Sèvres, à l'automne 1943, à titre de Président de l’Association locale des anciens combattants, il est dénoncé, arrêté par la Gestapo et transféré à Drancy avec sa femme, puis déporté à Auschwitz le 10 mars 44. "Le tragique paradoxe du destin d’Ascoli, c’est que sa liberté retrouvée a permis son arrestation. Dès qu’il n’est plus captif, son identité se résume à son origine et il n’échappe plus au destin génocidaire réservé aux juifs de France. L’Histoire des deux guerres mondiales est inscrite dans son parcours et son destin : libéré grâce à son titre d’ancien combattant il est dénoncé lors d'une cérémonie où il est invité au même titre".
Douze destins héroïques
François Heilbronn, professeur à Sciences Po Paris, présenté par Sébastien Linden, attaché de coopération scientifique et universitaire auprès de l'ambassade de France, comme "un homme de multiple talents qui se bat en permanence pour les valeurs de la république française et s'exprime chaque fois qu'elles sont menacées", a consacré sa communication à la présentation de douze destins héroïques, six parachutistes juifs de la France libre et six autres d'espions israélites dans les services de renseignements alliés. Il l'a débuté en faisant entendre le chant de la prière des parachutistes, écrit par André Zirnheld, Juif d'origine alsacienne, aspirant du commando des forces spéciales de l'armée britannique (SAS), premier officier parachutiste de la France libre tombé sur le champ de bataille, en 1942 dans le désert de Cyrénaïque. Le texte de la prière a été retrouvé sur lui. Les cinq autres parachutistes étaient le commandant René-Georges Weill, capitaine de la première compagnie d'infanterie de l'armée de l'Air, tombé en captivité et décédé par suicide en mai 1942; Jean-Salomon Simon, commandant du 3e régiment de chasseurs, parachuté en Belgique en avril 45 et mort au combat. Didier Heilbronn, oncle de François Heilbronn, volontaire dans le 1er bataillon parachutiste de choc, blessé à la jambe. Maurice Rheims, membre de l'Académie française, commandant en second du premier groupe de commandos parachutistes en Algérie. Norbert Beyrard (Benchemoul), parachuté au Pays-Bas, fait prisonnier et évadé. Sur 400 parachutistes, près de 100 étaient juifs, dont 15 officiers.
Combattre contre l'effacement de l'identité juive
La deuxième partie de l'intervention était un hommage aux espions et saboteurs juifs des services secrets alliés. Jean Rosenthal, du Bureau central de renseignement et d'action de la France libre (BCRA), héros de La Vallée des rubis de Joseph Kessel; le lieutenant Bernard Bermond (Benjamin Benezra), du Bureau des services stratégiques des Etats-Unis (OSS), le commandant François Klotz, du SPOC américain, torturé à plusieurs reprises et disparu en juillet 44, grand-oncle de François Heilbronn à l'origine de son prénom et de son désir de servir dans le régiment des parachutistes. Jean Worms, agent secret français du SOE britannique, arrêté, torturé et exécuté à Flossenburg en 1945. Philippe Koenigswerther du BCRA, exécuté en Alsace au camp de Stuttoff. Denise Bloch du SOE, parachutée en France en 1942, torturée et abattue par la Gestapo en janvier 1945. Enfin Nahum Ben Shemoul, qui s'enrôla comme volontaire étranger vers la Palestine, et sera à l'origine de la première unité de parachutistes de l'armée israélienne. Le Prof. Heilbronn estime la participation des Juifs de France à plus de 10% de l'ensemble des services secrets alliés, alors qu'ils ne représentaient que 1% de l'ensemble de la population française.
Introduisant la conférencière suivante, Yves Wahl, directeur du nouveau programme de Culture française de l'Université de Tel-Aviv, remercie au passage l'AFAUTA pour avoir a permis la réouverture du programme de culture française de l'Université et rappelle que son père, Henri Wahl, était également chef d'un réseau de résistance juive. Le Dr. Françoise Ouzan, du Centre Goldstein-Goren présente l'itinéraire du résistant Otto (Toto) Giniewski, militant sioniste et dirigeant de l'Armée juive et du Mouvement de la jeunesse sioniste en France (MJS). Né à Vienne en 1920, Otto Giniewski (devenu Eytan Guinat) quitte l'Autriche pour la Belgique en 1935, où il devient militant sioniste actif. Il y poursuit ses études à Bruxelles où il devient président de l'organisation étudiante. Après l'invasion allemande de la Belgique, il est envoyé dans le sud de la France, où il devient l'un des co-fondateurs et des principaux dirigeants de l'Armée juive, organisation derésistance qui permit le passage enEspagnede centaines deJuifs. En parallèle, il poursuit un doctorat en chimie, et son laboratoire à l'Université de Grenoble devient rapidement le quartier général de la fabrication de faux papiers. En juillet 1945 il immigre en Palestine. "L'itinéraire de Toto montre le double combat des membres du mouvement de la jeunesse sioniste, résistants mais aussi combattants contre l'effacement de l'identité juive et pour sa réactivation par l'intermédiaire du sionisme".
Le Gardien de nos Frères
Enfin, la dernière session fut consacrée à la romancière Ariane Bois[2], qui présenta son 5e et nouveau roman sur la résistance juive en France, Le gardien de nos frères. Histoire d'un jeune homme, Simon Mandel, de la bourgeoisie juive parisienne, patriote, dreyfusarde, laïque, au père franc-maçon, dont le monde s'est fracassé avec la guerre. La famille est séparée, il prend le maquis et rejoint la résistance juive. Après la guerre il rencontre Lena, une jeune fille d'un milieu de petits commerçants polonais qui a réussi à survivre au Ghetto de Varsovie. Tous deux se vouent à la cause des enfants juifs cachés pendant la guerre. "Dans mon livre, j'ai voulu rendre hommage à ces combattants de l'ombre, et tordre le cou au cliché selon lequel les Juifs ne furent que des victimes. J'ai voulu rappeler les héros, tous ces hommes courageux qui ont aussi préparé les jeunes pour leur alyah vers la Palestine".
Ce très riche après-midi s'est terminée par une dédicace de livres.
[1]Georges Brandstatter, Combattants juifs dans les armées de Libération (1939-1948), Ed. Ouest-France, 2015.
[2] "Et le jour pour eux sera comme la nuit" (Ramsay, 2009; J'ai Lu, 2010), prix du premier roman de la ville de Dijon, et le Prix de Combs-la-Ville "Le Monde d'Hannah" (Robert Laffont, 2011; J'ai Lu, 2014), "Le monde d'Hannah" (Belfond, 2011) et "Sans oublier" (Belfond, 2014).