Le Dr. Emmanuel Navon, Maitre de conférences en relations internationales à l’Ecole des Sciences politiques de l’Université de Tel-Aviv, a présenté, lundi 26 juin 2022, un brillant exposé sur la politique étrangère d’Israël face aux défis contemporains, lors d’une conférence-débat, organisée par l’Association francophone de l’Université de Tel-Aviv, dirigée par Agnès-Hanna Goldman. La rencontre a été précédée d’une dédicace pour les membres de l’Association.
En ouverture de la rencontre, Agnès Goldman a rappelé que le but de l’association est de soutenir les étudiants de l’Université de Tel-Aviv, à la fois par des bourses d’aide aux étudiants défavorisés et par des bourses d’excellence. Après avoir remercié Rozy Azar, représentante de la Banque Discount, pour son soutien aux évènements de l’Association, elle introduit le conférencier, enseignant à l’Université de Tel-Aviv et au Centre interdisciplinaire d’Herzliya, membre de l’Institut pour la Stratégie et la Sécurité de Jérusalem (JISS) et commentateur spécialiste des questions internationales sur la chaine télévisée I24 en anglais et en français. Le Dr. Navon est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont L’Etoile et le sceptre : Histoire diplomatique d’Israël qui vient de sortie en français, D’Israël avec espoir : pourquoi et comment Israël va continuer de prospérer (2010) et La victoire du sionisme (2014).
«La position d'Israël sur le plan international n'a jamais été aussi bonne qu'aujourd'hui»
Il entame sa conférence par une citation d’Henry Kissinger : « Israël n’a pas de politique étrangère, seulement une politique intérieure ». Pour le conférencier, cette remarque se trouve une fois de plus confirmée aujourd’hui. Cependant, malgré les énormes défis auxquels se trouve confrontée le pays, la position d’Israël sur le plan international n’a, selon lui, jamais été aussi bonne qu’aujourd’hui.
En effet, devenu indépendant au commencement de la Guerre Froide, Israël a dû se positionner à ses débuts à l’intérieur d’un système de relations changeantes entre les grandes puissances, « parfois avec chance, parfois non ». Lors du vote du Plan de partage de l’ONU en novembre 1947, Israël a bénéficié à la fois de la position personnelle du Président américain Truman, malgré l’opposition de son administration, et du soutien de l’URSS, pourtant traditionnellement antisioniste, car Staline souhaitait se débarrasser de l’influence de la Grande-Bretagne au Proche-Orient.
«Les intérêts des grandes puissances sont changeants»
Mais les intérêts des grandes puissances sont changeants. Après le retrait de la Grande-Bretagne de la région et la chute du roi Farouk en Egypte en 1952, qui amènera la prise du pouvoir par le Général Nasser, Staline adopte une politique de rapprochement avec les Etats arabes, poursuivie par l’URSS après sa mort (1953). Même retournement aux Etats-Unis, où le Président Eisenhower, successeur de Truman, renoue avec les pays arabes pour les éloigner de l’URSS. Israël, alors totalement isolé, trouve alors son unique allié dans la France de la IVe République, alors en pleine guerre d’Algérie, qui deviendra son seul fournisseur d’armes. C’est également la France qui a construit l’infrastructure de la centrale nucléaire de Dimona. Cette situation change avec le retour au pouvoir du Général de Gaulle en 1958, qui diminuera son soutien à Israël, le laissant alors totalement isolé.
Cependant, la France et la Grande-Bretagne perdent leur statut de grande puissance après la guerre de Suez en 1956. Parallèlement, les Etats arabes de la région rejoignent un à un le bloc pro-soviétique, notamment avec la création de la République Arabe Unie en 1958 et la chute de la monarchie hachémite en Irak la même année. C’est alors que Ben Gourion tente d’initier sa politique de périphérie avec les Etats non arabes de la région, entre autres l’Iran, alors sous le régime du Shah, qui se sent menacée par l’URSS à l’est et le nationalisme panarabe au sud, et la Turquie, alors également sous un régime occidentalisé. Depuis l’ouverture du Détroit de Tyran après la campagne de Suez, les tankers iraniens acheminent alors du pétrole vers Israël, celui-ci fournissant de son côté des armes à l’Iran et à la Turquie contre le monde arabe qui lui est hostile.
Israël devient une «success story»
Vers le milieu des années 60 cependant, les Etats-Unis changent de nouveau de politique et se mettent à soutenir Israël, pour contrebalancer l’influence grandissante de l’URSS dans la région. Cette politique leur est favorable en 1967 avec les succès d’Israël pendant la guerre des six jours. « La France, qui craint une humiliation arabe avec des avions français, a mal calculé à ce moment-là», commente le Dr. Navon. Les accords de Paris en janvier 1973, marquant la fin de la guerre du Vietnam, sont une humiliation pour les Etats-Unis, qui souhaitent d’autant moins voir les Russes gagner du terrain au Proche-Orient, et aideront donc massivement Israël au début de la Guerre de Kippour, tout en laissant une porte de sortie au Président Sadate. Les Accords de Camp David en 1978, permettront à l’Egypte de récupérer le Sinaï, et échange de son passage dans le camp américain.
Cependant, après la guerre de 1973, les pays de l’OPEP parviennent à couper peu à peu tous les pays arabes d’Israël. S’ouvre alors une période noire pour la diplomatie israélienne, qui ne s’améliorera qu’à la fin des années 80, avec la fin de la guerre froide. L’inde et la Chine établissent alors formellement leur rapprochement avec Israël.
La normalisation récente des relations entre les pays arabes et Israël se produit sur le fond de la montée de l’Iran face au monde arabe, du déclin progressif de celui-ci et du passage à l’ère post-pétrolière. Israël, puissance économique et technologique, devient une « success story » face à des pays arabes (Liban, Irak, Syrie) qui tombent en lambeaux. La révolution islamique en Iran (1979), mais surtout la reprise du programme nucléaire iranien et la construction d’une « enveloppe mondiale chiite » dans les Etats arabes font que les Emirats et les sunnites en général se rapprochent d’Israël.
L'heure des choix
De plus, un autre élément contribue à affaiblir le monde arabe : la baisse des prix du pétrole : « Nous approchons irréversiblement de l’ère post-pétrolière », relève le conférencier. « Or, toute l’économie des pays arabes repose sur la vente du pétrole. Le déficit budgétaire de l’Arabie saoudite s’élève à 15% de son PIB, et c’est la même chose pour les pays du Golfe. Dès lors il devient impératif pour ces pays de se diversifier sur le plan technologique, et qui dit innovation technologique dans la région dit rapprochement avec Israël. Les accords, concernent à présent les Emirats Arabes Unis et Bahrein, mais l’Arabie Saoudite attend le moment favorable pour rejoindre ce processus ».
« Cependant », conclut le Dr. Navon, « Israël se trouve à présent face à des dilemmes auxquels il ne plus échapper. Depuis environ quatre ans, le fossé et le conflit géopolitique se creuse entre la Chine, la Russie, et les Etats-Unis. Les relations se durcissent entre autocraties d’un côté, démocraties de l’autre. Les Américains freinent les relations entre Israël et la Chine. Le front uni présenté par les Etats-Unis et l’Occident contre la Russie a surpris Poutine. Les Etats-Unis construisent une alliance militaire dans la région contre l’Iran. Israël ne pourra plus continuer à jouer sur tous les tableaux et va devoir faire des choix ».
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