Comment Israël a renversé ses alliances au Proche-Orient par Emmanuel Navon de l’Université de Tel-Aviv

Suite aux récents accords signés par Israël avec les Emirats arabes unis et Bahrein, le Dr. Emmanuel Navon, politologue et expert en politique étrangère et relations internationales de l’Ecole des Sciences politiques de l’Université de Tel-Aviv a présenté une éclairante conférence par zoom sur le thème « La normalisation avec les pays du Golfe : ou la nouvelle périphérie d’Israël ». La conférence, qui s’est déroulée le lundi 12 octobre 2020, était organisée par l’Association francophone de l’Université de Tel-Aviv et sa directrice Agnès Goldman.

Navon coverEn amont de la conférence, le Prof. Ruth Stella Amossy, professeur émérite du Département de français de l’Université de Tel-Aviv et représentante de l’Association des amis français, a rappelé que l’université a poursuivi ses programmes d’enseignement en ligne depuis le début de la crise du covid-19, et mène d’incessantes recherches pour vaincre le virus, certaines commençant à porter leurs fruits. Elle annonce la reprise des activités de l’Association pour la nouvelle année universitaire 5781, en ligne en raison de l’épidémie.

Une stratégie initiée par David Ben Gourion

Après avoir souhaité la bienvenue aux participants de France, de Suisse et du Canada, Agnès Goldman cite les derniers classements de l’Université de Tel-Aviv, 1ère université d’Israël et parmi les 200 meilleures universités du monde, au 8e rang dans le monde pour le nombre de ses diplômés devenus entrepreneurs. Elle rappelle la nécessité de venir en aide à ses étudiants, particulièrement en cette période de pandémie : « Plus de 1000 étudiants ont perdu leur emploi en raison de la crise économique due au covid-19. L’Université a mis sur pied un fonds de soutien d’urgence international qui a déjà permis de financer 2000 étudiants. Nos étudiants sont l’avenir d’Israël, toute aide sera cruciale et je vous en remercie par avance ».

Le Prof. Amossy introduit ensuite le conférencier, enseignant à l’Université de Tel-Aviv et au Centre interdisciplinaire d’Herzliya, membre de l’Institut pour la Stratégie et la Sécurité de Jérusalem (JISS) et commentateur spécialiste des questions internationales sur la chaine télévisée I24 en anglais et français. Le Dr. Navon est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont L’Etoile et le sceptre : Histoire diplomatique d’Israël depuis l’Antiquité (2020), en cours de traduction en français, D’Israël avec espoir : pourquoi et comment Israël va continuer de prospérer (2010) et La victoire du sionisme (2014).

Navon stellaLa conférence, a annoncé le Dr. Navon replace les accords actuels avec les Etats du Golfe dans une perspective historique. Commentant son titre, il explique que la stratégie internationale de la « périphérie » d’Israël a été initiée par David Ben Gourion à partir de 1958 : « De 1948 à 1958, Israël avait connu une période de succès diplomatiques, réussissant à obtenir à la fois le soutien de l’URSS et des Etats-Unis. Staline souhaitait en effet se débarrasser de l’influence de la Grande-Bretagne au Proche-Orient et a donc voté en faveur du plan de partage de l’ONU ; quant aux Etats-Unis, il s’agissait surtout d’une position personnelle du Président Truman ». Mais ce double soutien a été de courte durée : après le retrait de la Grande-Bretagne de la région et la chute du roi Farouk en Egypte, qui amènera la prise du pouvoir par le Général Nasser, Staline adopte une politique de rapprochement avec les Etats arabes, qui sera poursuivie par l’URSS après sa mort (1953). De son côté, le Président Eisenhower, successeur de Truman, mène une politique presque anti-israélienne, pour ne pas éloigner les pays arabes des Etats-Unis. Seule la France, alors en pleine guerre d’Algérie, restera à ce moment-là l’amie d’Israël, et son seul fournisseur d’armes. C’est également la France qui a construit l’infrastructure de la centrale nucléaire de Dimona. Cette situation change avec le retour au pouvoir du Général de Gaulle en 1958, qui diminuera son soutien à Israël, le laissant alors totalement isolé.

Jouer la carte du monde arabe contre l'Iran et la Turquie

Un à un, les Etats arabes de la région rejoignent le bloc pro-soviétique, notamment avec la création de la République Arabe Unie en 1958 et la chute de la monarchie hachémite en Irak la même année. « C’est alors que, se fondant sur l’adage bien connu en sciences politiques : ‘les ennemis de mes ennemis sont mes amis’, Ben Gourion tente d’initier sa politique de périphérie avec les Etats non arabes de la région, Iran, Turquie, Ethiopie, et les minorités : Chrétiens du sud du Soudan, Maronites du Liban et Kurdes », explique le Dr. Navon. L’Iran, alors sous le régime du Shah, se sent en effet menacée par l’URSS à l’est et le nationalisme panarabe au sud ; de même pour la Turquie, alors également sous un régime occidentalisé et pour l’Ethiopie chrétienne d’Hailé Sélassié. En 1959, Israël créée même une agence d’information commune avec l’Iran et la Turquie nommée le Trident. Depuis l’ouverture du Détroit de Tyran après la campagne de Suez, les tankers iraniens acheminent du pétrole vers Israël, celui-ci fournissant de son côté des armes à l’Iran et à la Turquie contre le monde arabe qui lui est hostile.

Navon 1Vers le milieu des années 60, les Etats-Unis augmentent de nouveau leur aide à Israël, tandis que le système d’alliances établi par Ben Gourion commence peu à peu à s’effriter. Le régime d’Hailé Sélassié tombe en 1974, et l’Ethiopie passe sous influence soviétique. En 1979 a lieu la révolution islamique en Iran. Les relations entre l’Iran et Israël se maintiendront discrètement jusqu’en 1982, Israël continuant de vendre des armes à l’Iran, mais se dissoudront définitivement avec la guerre Iran-Irak en 1980, et la reprise du programme nucléaire iranien. La politique de l’Iran par rapport à Israël devient de plus en plus agressive. Les milices shiites se répandent à travers le monde. En 1994, a lieu l’attentat meurtrier du Hezbollah contre le centre culturel juif de Buenos Aires. Enfin, en 2002, l’élection d’Erdogan et du parti islamiste en Turquie met définitivement un terme à cette première périphérie : « La Turquie soutient ouvertement le Hamas, et sa politique étrangère devient de plus en plus extrémiste ces dernières années », commente le Dr. Navon. « C’est aujourd’hui un pays dangereux pour Israël au même titre que l’Iran ».

Désengagement des Etats-Unis et baisse des prix du pétrole

Ainsi Israël s’est-elle trouvée obligée de renverser sa ‘stratégie de périphérie’ en la redirigeant justement vers le monde arabe, contre la Turquie et l’Iran. Ce renversement est facilité par l’implosion du monde arabe, en déclin depuis plusieurs décennies, qui culmine avec le Printemps arabe de 2011. Les Etats arabes, créés artificiellement sur les restes de l’empire ottoman, ne résistent pas aux mouvements populaires qui éclatent à partir de décembre 2010. La Syrie bascule dans la guerre civile, la charia est instaurée en Lybie, l’Etat islamique s’installe en Irak. En Egypte, les Frères musulmans, responsables de l’assassinat de Sadate en 1981, gagnent les élections de 2011. Les relations avec Israël ne seront rétablies que lorsque l’armée prend le dessus en 2013.

Selon le Dr. Navon, la politique de désengagement américaine au Proche-Orient joue également en faveur du nouveau système d’alliance d’Israël : « Avec Obama, l’Arabie Saoudite et les pays arabes prennent peur. Devenus indépendants sur le plan énergétique, les Etats-Unis, aujourd’hui premier producteur de pétrole au monde, n’ont plus besoin de la région. Le seul allié des pays arabes devient dès lors la plus grande puissance de la région : Israël, avec lequel ils ont un ennemi commun : l’Iran ».

Un autre élément contribue à affaiblir le monde arabe : la baisse des prix du pétrole : « Toute l’économie des pays arabes repose sur la vente du pétrole. Or nous approchons de l’ère post-pétrolière et la baisse du prix du baril devient structurelle. Le déficit budgétaire de l’Arabie saoudite s’élève à 15% de son PIB, le covid-19 ne faisant qu’empirer la situation. Et c’est la même chose pour les pays du Golfe », relève le conférencier. « Dès lors il était devenu impératif pour ces pays de se diversifier sur le plan technologique, et qui dit innovation technologique dans la région dit rapprochement avec Israël. Les accords, concernent pour le moment les Emirats Arabes Unis et Bahrein, mais l’Arabie Saoudite est susceptible de rejoindre ce processus ».

La paix des peuples

Comme l’explique le Dr. Navon, d’autres pays se joignent à cette nouvelle périphérie d’Israël. Dans le Caucase, l’Azerbaïdjan, pays musulman laïc, menacé par l’Iran, se tourne vers Israël, qui de son côté lui vend des armes aux dépens des Arméniens. Autre exemple, la Grèce, plaque tournante de l’OLP en Europe dans les années 80, est à présent en proche partenariat avec Israël pour l’exploitation de ses réserves de gaz naturel.

« Le retrait progressif des Etats-Unis, les questions énergétiques et la crainte de l’Iran ont donc poussé les Etats arabes vers Israël. Ils ne veulent plus attendre les accords avec les Palestiniens et le disent ouvertement », conclut le conférencier. « La stratégie de périphérie d’Israël initiée par Ben Gourion a donc perduré, mais s’est inversée. Israël doit ce succès à sa puissance militaire, économique, énergétique, de même qu’à ses relations privilégiées avec les Etats-Unis. En relations internationales, il n’y a pas d’amis ou d’ennemis, seulement des intérêts. Ce sont eux qui expliquent le renversement de cette périphérie ».

A un participant dans le public lui demandant si les récents accords correspondent véritablement à une paix entre les peuples ou seulement entre les chefs d’Etat, le Dr. Navon répond : « A l’époque les traités de paix avec l’Egypte et la Jordanie étaient effectivement le fruit d’une realpolitik mais ne correspondait pas à une paix entre les peuples. Cette fois-ci les choses sont différentes. On voit se multiplier les projets économiques communs, et l’approche sur les réseaux sociaux est très favorable. Ceci s’explique par le fait que nous n’avons jamais eu de guerre avec les Etats du Golfe ».

 

Photos: 

1. De gauche à droite: Agnès Goldman, le Prof. Ruth Amossy, le Dr. Emmanuel Navon.

2. Le Prof. Ruth Amossy

3. Le Dr. Emmanuel Navon

(Captures d'écran pendant la conférence)

 

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